Antibal II

Publié le par Damo


    J'ai roulé plusieurs kilomètres tranquillement, en regardant les émeus génétiquement modifiés brouter
le long de la route. Le temps est devenu dégueulasse au bout d'une dizaine de bornes, il y avait
un ciel graisseux comme une vitre sale, avec des nuages étirés tout en dents, rouges aux bordures.
Ma grand-mère sourcière aurait trouvé le moyen d'y voir un mauvais présage, mais pour ma part,
je considérais avoir eu plus que de la chance dans la vie, alors j'accueillais à présent toute forme
de malchance fatale comme une preuve que j'étais vivant.
Au bout d'un moment j'ai été obligé de sortir de la route pour aller chercher du carburant,
j'aimais pas trop m'arrêter aux stations qu'il y avait au bord de la 1077, c'est trop souvent des
repaires de cannibales braqueurs. Et la voiture attirait trop l'attention pour ça.
J'ai rejoint un bled appelé Axixpipihyac, un endroit assez atroce, construit autour d'une unique route
droite goudronnée à la va-vite, qui vivait semblait-il de la culture des cactus répartis en lignes bien droites
de chaque côté de la route, derrière les bâtisses. Il y a avait un tel contraste entre ces maisons
miteuses et les rangées bien ordonnées, d'un éclat vert mordoré, que j'ai failli pleurer.
Et puis je me suis raclé la gorge à la place.
J'ai tranquillement rempli le réservoir à une station automatique, tandis que le robot d'astreinte me
faisait la conversation en me donnant le bulletin trimestriel de l'université de Paleva Uttica.
Quand je finissais de payer une fille d'une vingtaine d'années est sortie des toilettes, on aurait dit
qu'elle venait d'y dormir quelques heures.
Elle m'a demandé avec un accent chuintant assez laid où je pouvais bien aller, je lui ai dit la Mer Fumante,
elle a réfléchi, elle a dit ça me va, je m'appelle Irene en me tendant la main.
Je lui ai pas serrée en prétextant qu'elle était sale à cause du plein que j'avais fait, mais je voulais pas
la toucher avant d'être sûre qu'elle avait pas la maladie. Même si mes chances de l'attraper avoisinaient
le zéro, je me méfiais, ç'aurait été con.
Je lui ai dit montez, et puis on repartis vers la 1077. Elle disait rien, prenant des poses certainement
étudiées pour avoir l'air super cool appuyée sur une fenêtre de bagnole. Ca me faisait bien marrer, je sais
pas ce qu'elle croyait, mais j'avais pas trop envie qu'elle essaie de monnayer je sais pas quoi en échange
d'un quelconque rapport sexuel. J'étais devenu un sale con méfiant à cause de mon pognon et du fait
que ça se voyait sur ma gueule, mais je m'étais un peu trop fait couillonner.
    Bizarrement, elle m'a pas parlé de la voiture, comme quoi elle l'aurait reconnue, mais ça m'étonne pas,
y'a plein de gosses dans le pays qui ont jamais eu l'occasion de voir les films ou la série, à cause de la
récession et des pannes d'alimentation.
Par contre ça j'ai eu droit de connaître tout le restant de sa vie, bon dieu. Elle m'a bassiné presqu'une heure
avec les perroquets, elle devait tout connaître dessus. Ce en quoi elle avait du mérite, ou un parent
zoologue, parce que moi ça faisait bien une dizaine de foutues années que j'en avais plus vu un seul.
Elle m'a appris qu'elle traçait la route pour sacrifier à une espèce de rite familial que tout le monde
faisait au même âge dans sa famille, qui avait un rapport obscur avec la roue du destin et la perte de la
virginité.
Je me suis braqué d'un coup parce que j'aimais pas trop ce délire, et la voiture a fait un écart.
Elle a dû comprendre parce qu'elle a ensuite enchaîné (bon dieu ce qu'elle causait) sur le fait
que ça devait obligatoirement avoir lieu avec un Régénéré, et comme quoi du coup c'était là
qu'était le vrai principe du rite, la difficulté d'en trouver un (et consentant de surcroît, je pensais)
et les obstacles sur le chemin, etc.

Ces histoires de Régénérés ça m'a toujours bien fait marrer. Pas que j'y croyais pas, mais bon,
personne n'avait jamais pu rien prouver, et le principe de se plonger dans une piscine "spéciale"
pour en ressortir rajeuni de 30 ans, je doutais un peu. C'était peut être pas impossible, avec tout ce
que nous avait apporté l'Echange mais quand même. Enfin si ça se trouve la meilleure preuve
était Irene, assise à côté de moi, qui avait juste l'air de pas avoir trop eu de bol dans la distribution des
gènes mais que ça empêchait pas de causer comme un perroquet.

Publié dans Antibal

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Toi non plus t'as pas vu le film.
Répondre
G
Et la suite? La Mer Fumante est-elle amère, la mère sourcière le tirera t'elle de cette souricière? Et qu'est-ce qu'elle a de spécial, cette voiture? Raconte-nous!
Répondre
H
c'est pas mal mais manquerait une chute
Répondre
D
"Et puis je me suis raclé la gorge à la place"... J'adore.
Répondre
D
http://sites.estvideo.net/malinal/nahuatl.odeurs.html
Répondre