La Vie à la Ferme 1
Mais ! Ambitieuse entreprise n'est pas aisée pour autant.
J'eus toutes les difficultés du monde à trouver des paysans
prêts à accueillir le génie de mon reportage,
mais l'argent a toujours raisondes miséreux,
et j'en trouvais un couple plus cupide que les autres.
Toutefois, atteindre leur "village" (laissez-moi rire) il fallait 2h de train, 14h de calèche, et 45 minutes de randonnée à travers une forêt si impénétrable qu'elle aurait arrêtés net les Boches en 40.
J'avoue avoir essayé de suivre le paysage et de comprendre où je pouvais être,
mais lorsque j'ai vu un panneau avec "Nogent-le-Rotrou"
mon esprit épuisé a abandonné, et je me suis endormi.
J'arrivais donc en un lieu inconnu, les pieds dans la boue, essayant de discerner
les contours branlants d'un masure basse et effondrée dans une nuit sans étoiles.
Je déchantais déjà, mais tentais de me rasséréner en pensant à la gloire et
à la dévotion au public.
A l'intérieur, un homme et une femme aux vêtures étranges et odorantes m'accueillirent sans grande chaleur,
mettant à mal la légendaire convivialité provinciale. Un poêle unique chauffait maigrement son propre mur,
mais guère plus : c'est tout juste si il ne faisait pas plus froid dehors que dedans. Mes logeurs me désignèrent une paillasse
d'où je dûs déloger des mulots à coups de savate, lorsqu'apparut dans un grincement sinistre de porte en chêne, une bête crottée, une énorme touffe de poils fauves qui se déplaçait à quatre pattes. Je fus instamment frappé de tétanie et ne pouvait plus bouger, sans pouvoir détacher mon regard de l'horrible apparition, nous voyant tous aussitôt égorgés, les entrailles béantes. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis mes hôtes lui prodiguer soins et mamours ! Ces gens-là n'avaient pas de décence et frayaient avec le Malin, j'en étais certain.